(♫ Big in Japan ♪ d'Alphaville, le tube - déjà un peu rouillé - que j'écoutais pendant l'hiver 1984/85...)

Cette nuit, il a fait -21,9°C sous abri et c'est avec une certaine émotion que j'ai pu vivre ce moment en photographiant des aurores australes (Qui a dit « encore ! », au fond de la salle ? Pour la peine, je vous la mets en photo d'illustration...). C'est en effet la première fois depuis plus de 35 ans que je n'avais pas passé la barre des -20°C (sous abri, bien sûr). J'ai en effet le souvenir de l'hiver 1985, où le thermomètre avait affiché -20,5°C (le 9 janvier 1985 à Badonviller - 54). Un souvenir, de blanc, de calme, de lumière aussi. Peut-être que ce souvenir a participé à ma démarche polaire actuelle ? Prochain jalon, le -26,9°C relevé à St-Dié le 18 février 1956, un hiver dont les anciens me parlent encore... À suivre...

(♫ Le printemps de Vivaldi ♪ musique d'attente par excellence)

Les manchots empereurs sont de retour depuis plusieurs jours et sont même arrivés par paquets de 700 le week-end dernier. Le souci, c’est qu’à peine arrivés, ils vont se planquer derrière l’île Rostand et sont donc invisibles depuis l’île des Pétrels où nous sommes enfermés depuis mi-décembre. L'espoir repose donc sur la banquise qui s'est bien formée la semaine dernière, avec la crainte, cependant, que la tempête Samuel (la quatrième depuis l’arrivée de la TA72), casse tout. Si elle a fait débâcler tout le côté de l’île au large du mât ionosphérique, l’arrière n’a pas été touché.

Aiguillonné par Jimmy, qui a besoin de baguer les Pétrels Géants Antarctique présents sur Rostand, JP notre DISTA a procédé à un forage de banquise. Le passage du bord est délicat car la houle fait respirer la banquise. Il fait mettre son pied au centre des blocs de glace que l’on arrive à repérer avec le mouvement de la houle. Puis le perforateur creuse et les données d’épaisseur sont communiquées à ceux restés au bord au cas où (Adrien et moi…). Finalement toute une largeur du pré est sondée et les épaisseurs sont assez confortables : 30 à 40 cm.

Mais c'est sans compter qu'un train de houle puissant (Nord, 3,5m/14s au large) est venu tout casser en fin d'après-midi. Bref, « en Antarctique, pas de pronostics ».

 (♫ Les planètes de Gustav Holst ♪ - L'occasion de (ré)écouter cette œuvre de 1916 qui a inspiré la musique de la Guerre des Étoiles)

Un article en forme de note infrapaginale à l'article précédent : ce matin, à l'est (vers l’ile Bernard et le Lion), quatre des cinq planètes visibles à l'oeil nu se sont rassemblées à l'est. Ne manquait que Mercure à l'appel. Un spectacle pas si fréquent et visible encore jusqu'à la fin du mois (Vénus descend tandis que les autres planètes montent), y compris en France métropolitaine.  

Il semblerait qu'avec le ciel exceptionnellement pur que j'ai la chance d'avoir, il soit possible de repérer Uranus à l’œil nu, dont l'éclat est à la limite de la détection sans instrument. Une manœuvre à tenter cet hiver (août...).

(♫ Edvard Grieg - Suite lyrique : sonnerie de cloches, orchestration par Anton Seidl ♪)

Même si on l'espère depuis quelques temps, pour sortir de l'île et voir les manchots arriver en colonne (actuellement ils sortent directement de l'eau pour se positionner sur la manchotière...), la banquise a encore du mal à se former. Entre le pic de chaleur exceptionnel de la semaine dernière et la houle qui remue régulièrement la mer, c'est difficile à l'eau de mer de geler en toute tranquillité...  Pour l'instant, on doit se contenter des premiers stades de formation de la glace.

Tout d'abord, l'eau de mer qui se refroidit se transforme en frasil, l'eau prend une texture huileuse et une couleur jaunâtre. Puis ces cristaux de frasil, s’agglomèrent pour former une couche de glace mince, mais élastique, que l'on appelle nilas. Celui-ci est sombre quand il est peu épais (<  5 cm), puis blanchit quand il s'épaissit. Le nilas, avec les mouvements du vent et de la houle (pour peu qu'elle ne soit pas trop forte comme les jours derniers), se fragmente et s'entrechoque, formant de la glace en crêpe, ou pancake, comme on peut le voir sur la photo ci-contre. Ces crêpes vont ensuite se coller, puis se souder. C'est la cimentation. Il faut encore attendre quelques jours avec des températures basses (<-10°C) pour que la glace s'épaississe et atteigne 20 à 40 cm pour que l'on puisse enfin marcher dessus. En général c'est prêt pour fin avril, début mai. Pour les machines, il faut que la glace soit plus épaisse encore (80 cm voire plus en fonction du poids des engins).

À la station météo nous surveillons l'extension de cette banquise, que l'on appelle "glace de mer", grâce au passage du train de satellite Aqua et Terra, ainsi que des satellites européens Sentinelles.

(♫ Le soleil donne ♪ de Laurent Voulzy)

Pour Agen, La Réunion ou l'île des Pétrels où je suis depuis une centaine de jours, c'est l'équinoxe, c'est à dire le moment de l'année où, sur chaque point de la Terre, la durée du jour et de la nuit sont égales (à 12h, donc...). L'occasion de vous parler de la durée du jour en Antarctique. La station de Dumont d'Urville est située à une quinzaine de kilomètres à l'intérieur du cercle polaire antarctique : « géométriquement » le soleil ne se couche pas au moins une journée par an (le 21 décembre) et ne se lève pas au moins une journée par an (le 21 juin). Mais avec la réfraction atmosphérique qui remonte un peu le soleil sur l'horizon, le soleil se lèvera toujours en juin (1h45 pas plus, cependant...) et s'est montré pendant un long jour polaire en décembre : du 7 décembre 2021 au 2 janvier 2022. Entre les deux, les journées dégringolent vite : on perd environ 3 à 5h de durée du jour par mois.